Exposition réalisée par Jean-Baptiste
Garache
au musée de La
Colline de l'Automobile en octobre 1993
à
l'occasion de la sortie de l'ouvrage posthume de Grégoire,
"Toutes
mes Automobiles" (Editions Massin)
UN POLYTECHNICIEN GARAGISTE...
Jean-Albert Grégoire naît le 7 juillet 1899 à Paris. Bon joueur de rugby et champion de France du 100 mètres aux jeux interalliés 1917, il entre à l'école Polytechnique en 1919, pour le prestige de l'uniforme. A ses heures perdues, il étudie le droit et conduit une moto Harley-Davidson. Compensant des débuts professionnels peu enthousiasmants dans les métiers à tisser et la recherche pétrolière, il voue une admiration sans bornes à la course automobile (Bugatti et Amilcar, dont il achète une CC en 1922, puis une Scap) et au pilote Robert Benoist qui donnera à Delâge le titre de champion du monde des constructeurs en 1927. Vers 1924, Grégoire rencontre Pierre Fenaille dans un tennis de Neuilly, appartenant à la famille de ce dernier, de riches industriels du pétrole. Pierre, fils de famille et ingénieur montrant de réelles dispositions pour la mécanique, construit, en véritable émule de De Dion-Bouton, une voiture à vapeur qui remporte un vif succès dans leur groupe d'amis. Il partage avec Grégoire la passion de la course, que les deux amis mettent en pratique au volant d'une Amilcar Grand Sport au Rallye de Monte-Carlo en janvier 1925. Grégoire aborde ensuite son premier métier automobile en achetant à l'été 1925 le Garage des Chantiers (concession Mathis et Delâge) à Versailles, pensant ainsi faciliter sa participation aux rallyes, . Il court encore au rallye de Monte-Carlo sur Majola en janvier 1926 et sur Mathis et Bugatti en janvier 1927. Mais bientôt lassés de piloter des modèles existants, les deux amis décident de construire leur propre bolide, ou au mieux "quelques voitures de course".
L'AVENTURE TRACTA
Pierre Fenaille est un personnage qui met un point d'honneur à être original : en 1926, il remporte Paris-Nice dans la catégorie 5 litres, dormant dans l'habitacle de son coupé Farman, pendant que son chauffeur conduit. C'est lui qui incite Grégoire à choisir la disposition à traction avant, qui à 1'époque est encore un non-sens pour tous les constructeurs. Elle est rendue possible grâce au joint "homocinétique" dont le brevet sera déposé le 8 décembre 1926. Le prototype Tracta Gephi à moteur 4 cylindres Scap est commencé en novembre 1925. Il roule en juillet 1926. Son comportement à la coupe de l'Armistice le 1 1 novembre 1926 (premier dans la catégorie 1100 cm3) et aux courses de côte de La Turbie et du Mont-Agel incite ses concepteurs à le présenter aux 24 heures du Mans le 15 juin 1927, malgré le terrible accident qui décime l'équipe Tracta le matin même de la compétition. Fenaille dans le coma, Grégoire court l'épreuve contusionné à la tête, et réussit à se qualifier. Par la suite, en 1928, 1929 et 1930, d'autres Tracta se distinguent en remportant la coupe biennale. Depuis le 27 janvier 1927, Tracta est devenu une société, qui a son stand au Salon de l'Auto, et qui produit à Asnières des véhicules en petite série. Après les types A et B dérivés de la Gephi, on retiendra le type D, construit à plus de 100 exemplaires, le type E 6 cylindres (le premier qui satisfait vraiment Grégoire), et les types F et G à moteur Hotchkiss. L'énorme prix de revient et de vente de ces véhicules obligent Grégoire à cesser leur fabrication en 1933. Mais Tracta a incité par ses brevets innovants d'autres constructeurs (DKW, Adler, Citroën) à tenter la solution de la traction avant.
UNE USINE A BREVETS
Si en 1933, Tracta ne fabrique plus d'automobiles, son activité principale est axée sur l'exploitation du brevet du joint homocinétique, dont les demandes de brevets étrangers commencent dès 1928. Le brevet anglais est obtenu rapidement, celui des Etats-Unis en lè33 seulement, et l'allemand en 1936. Entre-temps, les firmes Adler et D.K.W. ont sorti depuis 1931 des dizaines de milliers de véhicules équipés du joint Tracta, sur lesquels elles n'ont encore payé aucun droit. Une longue procédure suit , a l'issue de laquelle une partie des redevances seulement est réglée. Par la suite, l'armée allemande utilisera sans droits le joint Tracta, ce qui incitera Grégoire à offrir le brevet au gouvernement français à la veille de la guerre. En France, le constructeur Rosengart produit l' Adler Trumpf sous licence en 1932 : c'est la Supertraction. Jean-Albert Grégoire participe à la mise au point de la transmission de la nouvelle Citroën 7 à traction avant, mais pour des raisons d'échauffement dû à une modification du dessin initial du joint, celui-ci ne l'équipe que jusqu'en 1935. Donnet en 1932, et Chenard & Walcker en 1933 sortent sans grand succès des "traction avant" sous licence Grégoire. C'est en se présentant au concours de la Société des Ingénieurs de l' Automobile pour une petite voiture 2 places/75 km/h que Grégoire est amené à présenter un nouveau brevet : la carcasse coulée en aluminium, d'abord adaptée à une Adler Junior de série, puis adoptée par le constructeur Hotchkiss pour la marque Amilcar qu'il avait rachetée. L'Amilcar Compound est présentée au Salon de 1937, et remporte un bon accueil commercial jusqu'à la deuxième guerre mondiale.
DEUX PUCES EN ALUMINIUM
A la fin de 1940, devant les restrictions de production automobile provoquées par la guerre, Jean-Albert Grégoire accepte la proposition d'Henry de Raemy de la C.G.E. d'étudier une petite voiture électrique qui serait construite par la société des accumulateurs Tudor. Si elle comporte une carcasse coulée, son moteur est disposé centralement, avec transmission aux roues arrière, pour des raisons d'encombrement des batteries. Le prototype CGE-Tudor roule en février 1941, la voiture carrossée en avril, et 200 exemplaires sortent des chaînes jusqu'à la fin de 1944. En 1942, ce modèle parcourt Paris-Tours (250 km) à 42,32 km/h de moyenne, ce qui constitue le record mondial sans recharge, toujours valable cinquante ans après. Parallèllement, en prolongement du concours de la S.I.A il étudie avec l'Aluminium Français un nouveau prototype de petite voiture à carcasse coulée, à traction avant, dont le cahier des charges précise : 4 places, 400 kilos, 4 litres aux 1 00 km, 90 km/h. Le premier coup de crayon donné en janvier 1941, la voiture carrossée roule en juillet 1942. Elle bénéficie d'abord d'une suspension à anneaux concentriques Neiman, avant d'être équipée de la fameuse suspension à flexibilité variable, et un moteur bicylindre refroidi par air situé devant le train avant, pour une meilleure tenue de route et habitabilité. En 1945, la voiture dénommée Aluminium Français Grégoire subit quelques modifications afin de permettre sa fabrication par Simca, dont Grégoire est devenu directeur général technique. Mais devant l'opposition du président Pigozzi de Simca, la Simca-Grégoire n'est jamais mise en production. C'est finalement Panhard qui, au termes d'un accord passé en 1943, reprend l'A.F.G. en lui donnant les lignes de la Dyna.
SOUS LE SIGNE DE L'AERODYNAMIQUE
Dès 1944, désirant étudier une grosse voiture de 2 litres de cylindrée, JAG demande à l'ingénieur Marcel Sédille, de la société Rateau, d'étudier l'écoulement de l'air sur une maquette aux formes très proches de l'A.F.G., puis d'en dessiner une autre de la meilleure forme aérodynamique possible, et enfin de comparer les résultats à une maquette de 11 légère Citroën. L'affinement de la maquette aérodynamique en 1946 donnera le prototype Grégoire (ou Tracta) R, présenté au Salon de 1947, et pour la construction duquel Hotchkiss s'engage par contrat en juin 1949. Les premières Hotchkiss Grégoire sont livrées en 1951, juste avant que la firme Hotchkiss ne doive stopper sa production pour des raisons financières. Un coupé dessiné par Chapron et un cabriolet sont cependant produits àquelques exemplaires. Un prototype de Frégate Renault-Grégoire, étudié en 1953, ne verra pas le jour. La même année, la Compagnie Electromécanique présente la première voiture à turbine française, la Socema-Grégoire, bénéficiant d'un Cx époustouflant de 0,18. C'est alors que Grégoire, las de l' échec commercial de la Hotchkiss, fait dessiner par Chapron sans aucun critère aérodynamique, un cabriolet sport à mécanique Grégoire R gonflée par un compresseur Constantin (1956). Cette Grégoire Sport, vendue à un prix prohibitif (4 millions de francs) est construite à une dizaine d'exemplaires.
CGE: LE RETOUR
Conjointement à l'étude de nouveaux prototypes, J.A. Grégoire et la Société Tracta ne cessent de déposer et d'exploiter de nouveaux brevets, en particulier celui de la suspension à flexibilité variable, adaptée à de nombreux véhicules dont la Citroën 15 cv, et de la suspension à coussin d'air atmosphérique pneumatique qui équipe 1,5 million de Renault Dauphine (dites "aérostables") à partir de 1960, et une suspension oléopneumatique en 1963. La diversification amène même l'entreprise à concevoir une suspension pour les brancards destiné aux transport des blessés de la colonne vertébrale, oeuvre pour laquelle Grégoire sera chaleureusement remercié par le Général de Gaulle. C'est à la fin de 1968 que Raymond Pelletier, directeur général de la C.G.E. demande à Grégoire l'avant-projet de l'étude d'une fourgonnette électrique. Une fois l'avant-projet accepté, la décision de construire le véhicule est prise en avril 1970, et ses premiers tours de roue surviennent le 18 mars 1971. Les prototypes n° 1 et 2 bénéficiant d'une transmission par courroie crantée peu satisfaisante, une transmission par pont est adoptée pour le n° 3 qui roule en mars 1972, doté évidemment de la suspension pneumatique à basse pression qui équipait la Dauphine Aérostable. La CGE-Grégoire est produite en petite série jusqu'en 1974. Depuis cette date, et jusquà son décès survenu en août 1992 l'ingénieur Grégoire s'est consacré de plus en plus à l'écriture, discipline où il excellait comme romancier depuis la publication de la plaquette "L'ingénieur de l'Automobile" en 1947. Un espace présentant ses 12 prototypes lui est réservé depuis 1992 au Musée de l'Automobile de La Défense.
Jean-Albert Grégoire s'est éteint le 19 août 1992.